Les OFP aujourd’hui : gadget ou contribution à la solution de la crise du fret ferroviaire??
Cette Journée a été organisée le 7 juin à Paris par l'association Objectif OFP pour faire le point sur les nouveaux opérateurs ferroviaires de proximité. Environ 240 personnes ont assisté à cette journée d'étude, clôturée par Thierry Mariani, le secrétaire d'Etat aux Transports.
Séance introductive
« Tous les jours, nous avons des nouvelles inquiétantes signalant que partout, sur le territoire, des entreprises se déconnectent du ferroviaire », explique en préambule, Jacques Chauvineau. Si le président d’Objectif OFP se félicite de la création récente de quelques OFP (opérateurs ferroviaires de proximité), il reconnaît que "le démarrage à grande échelle est difficile à lancer". D'où son espoir que cette journée "marquera une étape pour aller plus loin".
Le contexte y est favorable. L’un des objectifs du nouveau Livre blanc sur les transports publié en mars 2011 par la Commission européenne pousse à un recours plus important aux modes de transport les moins polluants. « Le but est de transférer aux modes alternatifs, à l'horizon 2030, 30 % du trafic routier parcourant des distances supérieures à 300 kilomètres. Puis 50 % en 2050 », souligne Patrick Rousseaux, de l’Unité transport et interopérabilité ferroviaire de la Commission européenne.
Autre texte allant dans ce sens : le premier paquet ferroviaire, dont la refonte a été présentée au Conseil européen sur les transports le 16 juin. « Il vise à préciser les conditions d’accès non discriminatoires au marché européen, avec la création de comités de gestion d’infrastructure, l’allocation de sillons communs et à trouver un équilibre entre voyageurs et fret », poursuit Patrick Rousseaux. Il devrait aboutir à la création de neuf corridors fret aussi bien Nord – Sud qu’Est – Ouest. Il devrait aussi contribuer à régler les problèmes d'interopérabilité dont souffre le fret ferroviaire en Europe : tensions électriques, écartement d’essieux, longueurs de trains différentes d’un pays à l’autre.
Première séance : Situation générale du fret ferroviaire en France et en Europe
«Le fret occupe une place plus importante dans les discours politiques que dans les statistiques », constate Michel Savy, professeur à l’Université Paris Est-Créteil et à l’Ecole des Ponts et chaussées. "Nous attendions de la directive 91 440, publiée il y a vingt ans, une explosion du fret ».
Mais rien de tel depuis. Pourtant le fret ferroviaire a été le moyen de transport dominant pour les marchandises, depuis sa création en 1830 jusqu'en 1920. « Il n’a cessé de décliner ensuite, même s’il a maintenu sa suprématie sur la route jusque dans les années 70, époque où le chemin de fer était encore bien adapté à une industrie de masse", rappelle Michel Savy. Mais le déclin n’est pas une fatalité. « En Europe, l’Allemagne, la Suisse, l’Autriche savent utiliser le ferroviaire, dans des géographies souvent plus compliquées qu’en France », souligne-t-il. Il pointe en particulier en particulier la collecte et la distribution des wagons isolés, qui "représente environ la moitié du coût du transport",
C'est aussi le cas aux Etats-Unis. « C’est un peu la Mecque du fret ferroviaire », s’enthousiasme François Coart, président de l’European Rail Freight Association (ERFA). On y recense sept grands opérateurs, dit de classe 1, pour les longues distances, qui font 3 000 milliards de t/k. Mais ils ne seraient rien sans les 550 opérateurs de classe 2 et classe 3, l’équivalent des OPF en France. Ensemble, ils réalisent 8 % des t/k et 25 % des tonnages transportés. « Au total, le réseau de fret américain représente la même longueur qu’en Europe. Mais le réseau européen n'achemine que la moitié des t/k comparé aux Etats-Unis».
L’ERFA plaide pour un cadre transparent et compréhensible, afin de développer la part du fer. « La révision du premier paquet ferroviaire doit être compris comme un tout. Il faut agir aussi bien sur l’infrastructure que sur la législation, les gestionnaires de réseau et les opérateurs historiques», souhaite François Coart, qui réfute l'idée selon laquelle le secteur privé tirerait la profession vers le bas. "Les membres de l’ERFA ont généré plus de 5000 emplois durant les cinq dernières années et ont acheté plus d’un millier d’engins ferroviaires, tous modèles confondus", rappelle-t-il.
Qu'en pensent les clients? Parmi eux ID Logistics, une entreprise de logistique employant 7000 personnes et gérant 2000 m2 d’entrepôts. Très présent dans le sud-est de la France, ce logisticien travaille en amont pour les industriels et en aval pour la grande distribution et la distribution spécialisée. « Je remarque que nos clients dans l’alimentaire, la brasserie, je pense à Danone, Nestlé, Pepsico, ne sont pas présents dans cette salle. Pourtant, ils font du ferroviaire, s’y intéressent, en réflexion comme en innovation », assure Emmanuel Vexlard, longtemps directeur Supply chain d’ID Logistics, et récemment devenu directeur des systèmes d’information. Les politiques de réductions des gaz à effet de serre les s’y incitent. «Quand ils devront afficher le taux de CO2 sur les paquets de chips, le transport par fer prendra tout son sens. Les industriels s’y préparent».
Mais il y a un obstacle : les insuffisances des infrastructures. « Sur quinze entrepôts à Clé Sud Miramas, un seul est embranché pour les trains complets. Pour les autres, on se débrouille : on coupe. Mais c’est de la manutention en plus. Or un train, ça se décharge plus vite qu'un poids lourd. Un train de 1000 palettes, c’est l’équivalent de 30 camions. Ce qui permet de gagner en productivité », explique Emmanuel Vexlard.
Autre cas de figure avec l'industrie lourde, où le fret ferroviaire conserve sa pertinence. Les aciéries d'Aperam Stainless Europe, créée à partir d’anciennes unités d’Arcelor Mittal, essentiellement en Belgique et en France, acheminent 300 000 tonnes de matières premières vers deux usines en France, Isebergues et Gueugnon. La première, raccordée, est située tout près de la frontière belge et la seconde, en Bourgogne, nécessite une rupture de charge à la gare de Digoin. "On cherche des solutions car les expéditions par fer ne représentent que 30 000 tonnes, le reste part en camion », raconte Benoît Bertrand, directeur Supply Chain d’Aperam Stainless Europe, qui insiste sur la nécessité d'avoir un délai garanti. « Qu’un opérateur m’assure un taux de ponctualité de 95 % à la minute ne m’intéresse pas si les 5 % qui restent arrivent avec des retards très importants ».
Autre exigence : la flexibilité. « La notion de planning non glissant de la SNCF est un véritable fardeau. Dans nos métiers, on peut avoir des divisions de l’activité par deux, de façon soudaine. Nous avons une visibilité à deux, trois mois, mais pas à quatre. Il nous faut de la souplesse".
2e séance : Développement concret d'un OFP et enseignements
Sur une quinzaine de projets d'OFP en France, quatre sont réellement lancés. Parmi eux, CFR (Compagnie ferroviaire régionale) dans le Morvan fait figure de pionnière. Cet OFP exploite la ligne Corbigny - Cercy-La Tour, desservant deux carrières de ballast appartenant à Lafarge et Eiffage. Pour cela, CFR a proposé à Réseau Ferré de France (RFF) un contrat de remise à niveau des voies, pour un montant de 5,2 millions d’euros. Effectué pendant l'été 2009, sous contrôle de RFF, ils ont permis de rehausser la vitesse à 40 km/h.
« La principale difficulté pour créer une PME entreprise ferroviaire, c'est que nous n'avions aucune expérience de la gestion d'un OFP, ni des questions de fiscalité, de locations de matériel moteur, d'assurances… Tout simplement, parce que le métier n'existait pas, donc les contrats pour couvrir les activités de première PME de fret de proximité n'existaient pas non plus ", se souvient Jean-Jacques Mary, le président de CFR. « Nous avons quand même réussi à monter une analyse financière qui tenait la route, validée en octobre 2009, puis signé avec RFF, Lafarge et Eiffage un partenariat de cinq ans ».
Les statuts sont déposés en février 2010, sous forme de SAS avec un capital de 100 000 euros. Insuffisant pour continuer. L'entreprise a fait une première augmentation de capital en janvier 2011, pour franchir les 250 000 euros. « Elle ouvrira encore prochainement son capital à d’autre actionnaires pour atteindre les 500 000 euros pour permettre de passer à un parc de 5 locomotives », poursuit son président. Selon lui, « un OFP doit nécessairement nouer un partenariat avec un chargeur qui va lui fournir un marché et s'impliquer dans le capital ».
Autre opérateur sur le marché, TPCF s'appuie sur son expérience de trains touristiques, Train du Pays Cathare et du Fenouillèdes qu’il exploite entre Carcassonne et Quillan. TPCF n’a démarré son activité qu’avec 50 000 euros. Commencé en association, TPCF a désormais un statut d’entreprise qui emploie dix personnes. L’opérateur a d’abord repris, avec un certificat de sécurité acquis en mars 2010, un trafic de 12 000 tonnes en juillet 2010, soit entre 2 et 5 wagons par semaine, entre Cases-de-Penne et Rivesaltes (7 km), point de multi-lot, multi-clients géré par la SNCF. A ce modeste trafic, TPCF espère ajouter 70 000 tonnes de feldspath au départ de Saint-Paul-de-Fenouillet.
Mais la tâche s’annonce difficile car les grandes entreprises nationales ne se bousculent pas pour tracter ensuite les trains sur le réseau national, explique Yves Guimezanes, président de TPCF. Une assertion démentie par Emmanuel Delachambre, le directeur général d’ECR France, comme par Pascal Sainson, le président d'Europorte France, qui affirment tous deux s'intéresser de près aux OFP. En attendant, Yves Guimezanes a demandé à l’EPSF (Etablissement public de sécurité ferroviaire), une extension du périmètre de son certificat de sécurité, avec l’idée d’emmener la marchandise jusque Narbonne, Le Boulou, ou Perpignan, là les entreprises ferroviaires nationales peuvent plus facilement prendre le relais.
Le profil de Colas Rail est différent. Et pour cause, l'entreprise a d'abord développé une activité de transport ferroviaire pour accompagner l'activité du groupe Colas : 1,3 million de tonnes de produits de produits de carrière vers les chantiers en 2010, avec un objectif d'1,9 million de tonnes cette année. Aujourd'hui, la société envisage de nouveaux développements, dont une activité d'OFP. « Cette stratégie purement interne a évolué en 2010, car nous faisons le pari que le fret ferroviaire, en chute, ne peut que redémarrer », explique Jean-Pierre Bertrand directeur général délégué de Colas Rail. Le transport ferroviaire de proximité apparaît donc comme une opportunité à saisir pour le groupe de travaux publics.
L'exemple Allemand mérite d'être médité, expose André Thinières, Délégué d'Objectif OFP. La DB a su augmenter ses volumes et ses marges, pendant que les 92 autres entreprises ferroviaires ( dont environ 70 OFP) augmentaient leur part de marché à 25% . Il faut dire que "l'environnement est favorable en particulier un important marché des matériels d'occasion" …
3e séance: Les OFP dans le cadre des ports
Tous les grands ports savent que la bataille se gagne aussi à terre. Surtout depuis qu'ils sont devenus les propriétaires de leurs voies ferrées. Dans ce cadre, les OFP ont un rôle à jouer.
Mais il est différent selon les ports. « Nous devrions investir 61,5 millions d’euros dans les infrastructures ferroviaires entre 2009 et 2015 », annonce Guy Bourbonnaud, responsable marketing au Grand port maritime (GPM) de Dunkerque. Malgré ces investissements, qui concernent notamment l’électrification du réseau principal de Grande Synthe (200 km de voies au total dont 55 électrifiés) qui compte 34 ITE (installations terminales embranchées), tout OFP devra encore investir dans des aménagements ferroviaires privés s’il veut capter des marchés sur le 1,7 million de tonnes effectué par la route. Selon Guy Bourbonnaud, « un OFP devra proposer une offre complète aux chargeurs incluant également l’entretien des voies ».
De son côté, le GPM de Marseille a souhaité garder la totale maîtrise de son outil ferroviaire. D'où d'importants investissements réalisés pour développer la part modale du fer. « Nous avons confié depuis 2010 la gestion des infrastructures à un groupement d’entreprise dont VFLI est le mandataire», rappelle Fabienne Margail, chef du département hinterland du GPM de Marseille.
La démarche suivie au Havre est différente. Avec un leitmotiv : les investissements doivent se faire au juste prix. Pour cela, le GPM du Havre qui englobe aussi le port de Rouen, « s’est doté de compétences internes capables de maîtriser le fonctionnement de l’outil ferroviaire en termes de maintenance, d’exploitation et d’investissement », explique Christian Feuvre, le directeur adjoint des opérations du GPM du Havre.
« Nous cherchons à faire émerger de nouvelles solutions, autres que celles proposées par l’opérateur historique afin de faire baisser les coûts ». A l’image des traverses (2500 sur le réseau portuaire) que le GPM a réussi à faire passer « de 180 euros le changement à l’unité par la SNCF à 60 euros par un autre prestataire. Et dans les mêmes règles de sécurité puisqu’effectué sous EOQA (Expert et organisme qualifié agréé), en l’occurrence Certifer », insiste Christian Feuvre.
Quant au GPM de La Rochelle, il a choisi, dès 2007, de créer un OFP, mais avec une signification différente : "un opérateur ferroviaire portuaire », explique Philippe Guillard, le directeur des opérations du GPM de La Rochelle. Celui-ci est également président de l'OFP Maritime Rail services créé avec l'opérateur ferroviaire filiale de la Deutshe Bahn, ECR.
« Il s'agit, quelle que soit la distance, de transporter les marchandises à l’origine ou à destination du port de La Rochelle ». Selon lui, l’association avec ECR permet des livraisons très éloignées et de répondre à toutes les demandes des clients. C'est en tous cas ce que confirme G.Falcomer Directeur Commercial de Bolloré Portuaire , qui vante "les rencontres rapides et efficaces avec des échanges réguliers » avec l’OFP
4e séance : Comment améliorer le processus de créations et les performances des OFP
On les appelle lignes capillaires, mais ce réseau également qualifié de secondaire représente tout de même 3300 km, soit 10 % du total, et des aspects économiques et environnementaux évidents pour les territoires traversés.
« La fermeture la ligne de Nuit-sous-Ravières à Châtillon-sur-Seine et Brion-sur-Ource génèrerait 11000 camions, triplerait les émissions de CO2, et entraînerait la suppression de 450 emplois », détaille Antoine Latouche, le directeur régional Bourgogne Franche Comté,
Pour le réseau capillaire dont le tiers reçoit plus de 100 000 tonnes par an, « nous mettons 16 millions par an pour entretenir ce réseau, ce qui conduit à maintenir ou mettre en qualité 80 km », précise Vincent Duguay, directeur commercial de RFF. L’Etat apporte la moitié des 16 millions dans le cadre de l’engagement national pour le fret ferroviaire. Reste que des arbitrages et des économies apparaissent nécessaires. Le recours à un OFP peut être une solution puisque confier l’entretien d’une ligne qui voit passer de 1 train par semaine à 6 trains par jour à un OFP qui l’exploite permet un entretien plus régulier, plus important, et à coût moindre. « Le statut de Prestataire gestionnaire d’infrastructure (PGI) créé avec CFR a permis, par exemple de remplacer, pour la même somme, 500 traverses au lieu d’une centaine par an », résume Antoine Latouche.
Eric Debrauwere, Directeur Général de Eurorail, présente son plan de transport à base de hubs multimodaux et de tri à plat et expose comment les OFP pourraient être mis en réseau en « complétant un système qui transporte déjà 40 000 wagons par an » soit 15% du volume national »
Conclusions de Thierry Mariani : « le maillon essentiel de la réussite du fret ferroviaire »
Thierry Mariani, secrétaire d'Etat chargé des transports, est venu conclure la journée de travail.
En l'accueillant Jacques Chauvineau appelle à une réévaluation le rôle que peuvent jouer les OFP dans l’Engagement National pour le Fret Ferroviaire » de septembre 2009. Pour celà il suggère plusieurs actions pour "aider à la création et la montée en charge des OFP": améliorer l'accès à des matériels d'occasion, aménager les règles ferroviaires actuelles, mettre en place des aides au démarrage et au report modal et renforcer le programme de réhabilitation des lignes capillaires pertinentes.
A cela, le Secrétaire d'Etat répond: « Le travail avec les OFP est certainement essentiel si on veut avoir la moindre chance de réussir nos objectifs du Grenelle de l’environnement en matière de fret ferroviaire : faire passer de 14 à 25 % la part du fer dans le transport des marchandises à l’horizon 2022, même si je suis conscient que le chemin qui reste à faire est relativement conséquent ».
Le ministre a rappelé les démarches engagées par l’Etat, sur le plan législatif, juridique et économique pour voir naître et perdurer les OFP. Il a rappelé l’aide apportée par Objectif OFP pour suivre ces entreprises dans leur développement et faire écho de leurs difficultés.
Il a assuré les acteurs présents que « si toutes les propositions ne seront pas retenues, elles seront étudiées avec la plus grande attention notamment sur l’accès à du matériel roulant ancien et amorti ».
Et de terminer par un « Vous êtes le maillon essentiel de la réussite du fret ferroviaire ».
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